NOTRE SÉLECTION DE POÈMES : Thierry SAJAT
LES MOTS…
…A dos de lune dodelinent.
La nuque de l'automne est belle,
Parfums de feuilles mirabelles
Dans le ciel aux ombres félines.
La rime devient buissonnière ;
Frémit la plume en écrivant
Tandis que danse sous le vent
L'alphabet bleu de mes paupières…
Et la nuit pleure ses chandelles,
Un ange passe et sur ses joues
Coulent des larmes d'acajou.
Le ciel n'est plus qu'une dentelle
Froissée des brumes de novembre
Et des haillons d'une pluie fauve
Qui titube quand je me sauve
Jusqu'au petit jour qui se cambre...
Les mots…
…A dos de lune dodelinent
Thierry SAJAT
LA JEUNE FILLE
à Gérard de Nerval
La jeune fille au bras du vent,
Son pas de danse en aquarelle,
Semble voler tout en rêvant
Comme jouant à la marelle.
Sa chevelure d’ambre et d’âme,
Brindilles brunes sous la brise,
Parfume l’air, et le ciel brame
Sous la brume que l’aube grise
Comme d’une ombrelle d’amour,
D’azur et d’azerole rose…
Dans le jardin du Luxembourg
La jeune fille a pris la pose,
Muse et modèle de l’instant,
Sous la voilette du printemps,
Avant de s’envoler plus loin,
Ballerine d’espoir.
Thierry SAJAT
LE SACRÉ CŒUR AU LOIN
Le Sacré Cœur au loin lève ses bras au ciel
Sur son tertre d’azur. Montmartre resplendit
Dans sa robe de brume aux matins essentiels
Où l’on dirait qu’un vent venu du paradis
Frôle l’aile d’un ange en caressant la Butte
Sous un voile de lune à peine décroissante
Dans la rumeur du jour… Et le soleil débute
Dans une roue superbe un songe sur la sente
Des blanches pierreries en fleurs de ballerine,
Pas de danse et d’Amour dans les airs montmartrois
Où la colombe chante, plume alexandrine,
Jusqu’à toucher le ciel pour atteindre la Croix
Que burine le temps… Un silence d’argile
A défeuillé l’hiver. Les poètes en frères
Descendent, titubant, vers le Lapin agile
Pour y boire musique et poème…. Et extraire
Dans les yeux d’une muse un dernier vers
En liberté…
Thierry SAJAT
LES MATINS BLEUS DE MONTMARTRE
J’aime les matins bleus de Montmartre, l’été,
Le ciel en demi-jour dans la futaie du vent
Quand le soleil prend fleur sur les pavés levant
Les ombres de l’amour que les temps ont portées.
J’aime ces matins d’aile, un ballet de moineaux
Sur les longs doigts du vent, les nues en plumetis
De brume à la grâce du ciel, la mélodie
De l’orgue de barbarie d’un vieux chemineau
Sur la Place du Tertre, son chat sur l’épaule…
J’aime ces matins bleus de Montmartre, l’église
Saint Pierre et son jardin qu’un brin de lune irise
En croisant le soleil sur la tête des saules.
Montmartre de Bruant, la poésie d’hier
Qu’on chantait dans les rues et dans les Cabarets,
Quand les filles dansaient, bourgeoises, lavandières,
Suzanne Valadon sur la toile effleurée
De Renoir ou Lautrec, vêtue d’âme et d’amour,
Muse et peintre mais femme… Ah Montmartre, toujours,
Sur les pas Dimey, sous sa plume enivrée.
Thierry SAJAT
QUAND LES SONGES Apollinaire
à Serge
Quand les songes Apollinaire
Prennent mes maux à bras le cœur
Sa poésie sème des fleurs
Sur les pages imaginaires
De sa mémoire. Et sous le pont
Coulant sa peine dans le soir,
Pensant à lui je viens m’asseoir.
Des brins de lune font des bonds
Sur le fleuve et je dis des vers
A l’encre d’aimer. J’ai mal où
Guillaume, poèmes à Lou,
« écrit tout seul », l’âme en hiver…
Passent la vie, l’amour, la mort.
De poèmes en calligrammes
Marie qui fleurit l’anagramme
D’aimer… Et Guillaume s’endort
Dans la tranchée d’un autre temps.
Thierry SAJAT
CE NE SONT QUE DES MOTS
Ce ne sont que des mots emmêlés de silence,
Des songes après nuit sans que naisse le jour,
Des parfums informels que déforme l’amour,
Morsures écorchées de vies et d’insolence…
Ce ne sont que des mots qui tombent de sommeil
Quand les trace le soir sous des lunes brisées,
Des rimes embrassées à la source croisée
Des chemins d’encre et d’âme en quête de soleil.
Ce ne sont que des mots en gestes de chimère,
Poèmes innommés à la grâce du vent
Comme feuilles d’automne aux lèvres d’un enfant,
Quand tout semble plus beau pour n’être qu’éphémère.
Ce ne sont que des mots ou des bribes de plume,
A peine prononcés par la voix du moment
Que personne n’écoute et que chacun dément,
Des mots qui vont mourir comme ceux que nous lûmes
Aux matins d’un sanglot.
Thierry SAJAT
J’APPRIVOISE LES MOTS
Pour Nicole et Maggy
J’apprivoise les mots sur les relents de l’âme.
Un reste de silence habille mes blessures,
Et je sais que le jour se cogne à la brisure
Du soir en effleurant mes plaies dessous sa lame.
Les temps sont incertains. Mes paupières décloses
Sombrent dans des regards au ciel ensevelis,
Dans la chair de la Nuit où s’éteignent les roses
Que désème le vent dessous des hallalis
De brume. J’entrevois à peine la saison.
La pluie chuchote sur les pavés de l’automne
Ses parfums oubliés, la mauvaise chanson
De l’été, grise comme un verbe qu’on entonne
Dans la voix éraillée de Verlaine à genoux,
La barbe déchirée, les cheveux en bataille.
j’apprivoise les mots et ma gorge se noue
D’une rime brisée… J’écris vaille que vaille.
Thierry SAJAT
J’ai rencontré Rimbaud
au coin sombre des rues
J’ai rencontré Rimbaud au cœur sombre des rues.
Il avait dans les yeux tant de morceaux de ciel
Que l’automne a souri, un rien artificiel
Sur le miroir du temps qui, ce soir, m’apparut.
Il écoutait le vent qui pleurait dans les arbres
Des larmes de feuilles, une douleur d’esprit;
Et je crois avoir vu sur son front les débris
D’une étoile d’Amour, rose dessous le marbre
De la nuit qui naissait… J’ai rencontré Rimbaud
Tandis que je buvais une bière de lune
A la terrasse de la solitude, brune
Comme pour enivrer l’instant qui était beau.
On croit que le poète invente en écrivant,
Mais il a le pouvoir de ressentir les songes,
Un peu comme les chats qui le suivent et longent
Ce sentiment d’écrire en lui dictant le vent.
J’ai rencontré Rimbaud au coin sombre des rues.
Paris portait son pas à l’infini des heures…
Sur sa lèvre blessée, brûle-gueule ou bien fleur,
J’entendis murmurer ou du moins je le crus
Un poème sans fin…
Thierry SAJAT
A MONTMARTRE où je vois le jour
Pour Alain Turban, Chanteur et Bernard Beaufrère,
…garde champêtre de la République de Montmartre
A Montmartre où je vois le jour
Les poèmes naissent des fleurs
Et des oiseaux, de Mots d’amour
Aux lèvres des accroche-cœurs,
Quand les chansons d’un autre temps,
Parfums de rose et de lilas,
Nous font revivre des printemps,
Lunes en robe de gala
Montant les escaliers du soir
Jusqu’à la Butte parfumée
Où les amants viennent s’asseoir
Pour entendre Bernard Dimey
Dire des vers à tous les vents,
A tous les vins, sa gueule usée
Jusqu’à l’ivresse soulevant
Sa dernière rime bisée,
Pourtant plus belle que jamais…
A Montmartre où je vois le jour
Le pas des femmes que j’aimais
S’envole où je leur fis la cour,
Brin de ciel à la Boutonnière…
Paris, le 21 décembre 2019
Thierry SAJAT
A MONTMERTRE CE SOIR
J’interroge mon cœur, et mon âme répond…
A Montmertre ce soir la lune fait des bonds.
Je regarde tes yeux depuis le premier soir
Où je les vis en fleurs près de la balançoire
De Renoir, au jardin de l’hiver, rue Cortot…
Je me souviens, un chat derrière les rideaux,
La silhouette de Suzanne Valadon
Et ton cœur et mon cœur sur quelque guéridon
D’amour… Le ciel était si bas, couleur étrange
Un rose presque bleu d’où s’envolaient des anges…
Et je tenais ta main en retenant les heures
Pour rester avec toi sur la Butte, ailleurs.
A Montmertre ce soir la lune fait des siennes,
La « colline inspirée » doucement nous promène.
Et l’écho d’une voix comme au temps des Cerises
Chante la poésie des rues dont on se grise….
Thierry SAJAT
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