J'ai frappé à la porte de trois calligraphes
L'un était Chinois
L'autre Irakien
Le dernier Persan
Chacun muni de son calame
M'a montré humblement
Avec ses courbes sur le papier
Un chemin à parcourir
Tous ont su m'embrasser de leur regard
Le Chinois m'a conduit en haut d'une montagne
L'Irakien m'a indiqué d'où je venais
Seul le Persan m'a dit : "j'ai connu ton père"
Depuis le sang de leur calame coule dans mes veines
Depuis leur souffle vivifie le mien
Patrick NAVAÏ
Extrait du recueil ©
L'écho des dits
Vos paroles sont miennes
Vos corps sont miens
Comme le sont mes paroles pour vous
Comme l'est mon corps pour vous
Je suis un multiple de vous
Je suis multiplié à l'infini
Je possède six milliards de bras
Et six milliards de jambes
Je préside vos tribunaux
Où je suis juge accusé et avocat de vos idées
Et me débat au beau milieu
De vos cinq continents
Je suis enfant adulte et vieillard de votre humanité
Et ne cesse de peupler de mes regards
La mer la terre et le désert
J'agite le rouge des révolutions dans vos usines
Je bois vos souffrances
Et suis l'écho de votre monde
Mes joies sont les vôtres
Et pourtant ma voix est unique
Car je suis vous et moi à la fois
Je suis le locataire de vos folies et de vos sagesses
A mes colères répondent les vôtres
Vos journaux s'écrivent aux quotidien
J'enterre vos morts
Recherche vos disparus
Pleure vos victimes de torture et de viol
Et déjeune à la terrasse de vos souvenirs
Je lis vos imprimés dans vos bibliothèques
Prie vos déesses dans vos temples
Et m'endors dans vos lits
Je joue aux dés une partie de votre vie
Marche pieds nus dans vos forêts et vos villes
Nage dans vos cours d'eau et vos océans
Vole dans vos avions
Roule dans vos trains et vos voitures
Je participe à tous vos concerts
Je suis sédentaire et nomade à la fois
Je suis le dépositaire de vos intelligences
Et la victime de vos bêtises
Mais chaque soir mes étoiles filantes
S'écrasent sur vos pistes d'atterrissage
Patrick NAVAÏ
Extrait du recueil ©
Shams le musicien
Sors ta flûte de l'oubli où elle croupit
Pour que tes artères à nouveau sillonnent l'espace
Joue le son rituel de ton existence
Veinée et parsemée de milliers de cris
Exhume tes airs des geysers de la flûte
Et ne t'inquiète pas des dissonances amères
Ni des piqûres du bec sur la peau de tes lèvres
Joue jusqu'à en perdre le souffle
Patrick NAVAÏ
Extrait du recueil ©
Les cœurs apostrophés
Le bateau des regrets a rompu ses amarres
J'étais là encore muet
Devant les cris naissants de l'aube écorchée
Et je guettais la détente du lièvre au ventre fauve
La gorge nouée et la langue sèche
C'est alors que passa Simorgh(*) dans le ciel en criant
Simorgh : oiseau mythique
évoqué dans l'épopée du
poète persan Ferdowsî (فردوسی)
Il faut faire la moisson des cœurs
Et reformer les éléments du puzzle
Eclaté dans l'univers
Patrick NAVAÏ
Extrait du recueil ©
Les cœurs apostrophés