Partager:  Add to Facebook  Tweet This  couriel
  Vous êtes ici : Accueil La page d'accueil du site  > Poèmes d'ici et d'ailleurs  > Irène SHRAER

 

NOTRE SÉLECTION DE POÈMES : Irène SHRAER

I

Cours
Cours

Ne te retourne pas


Un oiseau passe
Ne le regarde pas
Il ne se posera pas

Il reste dans l’air
Dans l’air noir
Qu’il demeure dans mon regard
Qu’il reste dans mon ciel
Qui s’efface dans les fumées sombres


La trace que je laisserai m’importe peu
C’est la vie que je voudrai.

Et je cours
Je cours

Ma mère
Ils ont tué mes frères

Ma mère                    ne pleure pas

Je te le jure ils ne reviendront pas
Nous les en empêcherons


Ma mère
La peine alourdit tes regards
Mais je te vois
La douleur vrille ta voix
Et j’entends ton soupir souffle

Ma mère que n’as-tu béni tes fils pour toujours
Mère des femmes vaillantes
Et des hommes au labeur
Et des enfants qui dansent

Irène SHRAER
Extrait de Danser au bord du ravin, Unicité 2024

II


A TOUS CEUX QUI SE TAISENT

Quand tu deviens le témoin du silence
Quand le noir s’étend sur tes lèvres
Que reste-t-il de lumière sur la mince enveloppe de l’été
Un chuchotement si ténu soit-il
M’aurait rendu l’air parfumé
Et les sentiers fleuris
Or pas un souffle ne sort de ta bouche muselée
Car ton cœur s’est éteint
Et que ton esprit ne bat plus
Qu’aux sons bruyants des tambours
Frappés par des francs-tireurs carnassiers
A l’appel de leurs meneurs

La bête en l’homme vocifère
Ne laissant aucune chance de survie
Les hommes aiment les dépouilles à terre
S’ils les piétinent
C’est pour mieux glorifier leur puissance

Irène SHRAER

III


MEMOIRE DE DEMAIN

Tu frissonnes
A poser tes pieds nus dans les empreintes
Esquissées sur le sable
Là où ils ont planté un jour des drapeaux
Il n’en reste que les hampes
-Vestiges-
Des rêves éventrés
Les amoureux avancent sur les grains luisants
Tenant dans leur étreinte
Leur destin
Assuré
Chacun de leurs pas efface
Dans le tourbillon de leur insouciance
Les traces laissées sur la plage
Par leurs anciens

Seul témoin de l’histoire
Le clocher noir
Qui surplombe le rivage
Et montre de son bicorne pointu
Les fantômes sillonnant
Dans un ballet d’éther
Un firmament d’acier
Alors dans la nuit
Ainsi qu’un ruban tremblant à l’horizon
Scintillant et blanc
Clignent les embarcations et les civettes
Les rayons rivés dans les comètes
Tandis que s’affirme
Et se dresse
Le faisceau long et dur
Du réverbère
Qui balaie sans douceur
La surface noire de l’eau
Et
Tel un phare
Effeuille les marques persistantes
Pour les éparpiller dans le vent
Le faisceau résiste au ciel
Que les hachures de coton ont raturé
Et se contente de lécher le poteau
Croyant barrer la route au jour
Quand en réalité́
C’est la nuit qui s’élève
Au milieu de la grève.

Irène SHRAER

IV


Une année bulle
Comme on souffle sur les braises
Impossibles à éteindre

Ne jamais reculer
Car les traces nous retrouveraient
Et si on restait
Les larmes nous enseveliraient

Viens donc courir alors
Dans la neige
A couper le souffle
Viens faire des cabrioles
Dans les flocons aérés et poudreux
Qui s’éparpilleront sur nos chevelures emmêlées
Et même si tes mots saupoudrent mes rêves
Je tiens à les garder
A l’arrière d’une pensée
Enchevêtrés dans ma peau rugueuse
Ou entre mes doigts
Comme un fanion flottant dans le vent
Sur lequel on peut lire
« Ici les âmes ne vieillissent pas »

Irène SHRAER

V


L’histoire nous laisse la réécrire
Pas la réinventer
L’écrire avec des tasseaux de verre
Pour montrer
Ce qui en nous a été brisé
Ce qui en nous a été́ subtilisé
Et meurtri
Nous ne pourrons avancer sans relire son récit
Parfois millénaire
Et vers lequel nous cheminons tous
Morceau après morceau
Nous n’oublierons pas
Jamais
Rien n’arrête la longue route
Qui nous transporte vers l’imprécis
Et le sombre
Mais au matin
La lumière rejaillira
Et pourra illuminer

Irène SHRAER
Extrait de Orat, 2023, Unicité

VI


Je veux te toucher
Te palper
Respirer ton parfum ambré
Te caresser du doigt la nuque
Remettre en place une de tes mèches de cheveux
Refaire le contour de ton visage
En n’omettant aucun coin
Je connais par cœur ce sentier
Qui mène du sourcil gauche à la pommette
Pour remonter par le front
En esquivant la ride traversant
Et redescendre sur le sourcil droit
Contourner l’ourlet de l’oreille
Et revenir à la pommette puis le contour des lèvres
De tes lèvres envoutantes
Où mène ce chemin dis-moi ?

Irène SHRAER

VII


Pas un pli de ta chemise sur lequel je n’ai passé mes doigts
Ton visage tu me l’abandonnais
Aisément
Dans la confiance de l’amour
Je le caressais, le recouvrais de mes paumes aimantes
J’enfouissais dans tes cheveux minces
Ma main
La branche de tes lunettes sur la tempe droite
Avait laissé un sillon
Je le suivais
Les mots n’avaient plus d’utilité
Il suffisait que nous nous regardions
Rentrons à la maison
Comme autrefois
Retrouvons le feu qui nous liait
Collés l’un à l’autre
A penser encore nos serments d’avenir.

Irène SHRAER

Entre la France et Jérusalem, Irène Shraer poursuit un chemin d’écriture et de peinture où le verbe et la couleur dialoguent.
Née à Casablanca, elle porte en elle la mémoire d’exils anciens et la tension des renaissances.
Son œuvre poétique, publiée notamment aux éditions Caractères, L’Harmattan et Unicité, interroge la mémoire.
Auteure de nombreux recueils, elle inscrit sa voix dans la fidélité au vivant et à la mémoire à transmettre.
La reproduction totale ou partielle des textes publiés sur cette page est strictement interdite sauf autorisation préalable de l'auteur.

Poèmes publiés sur le site internet lemanoirdespoetes.fr