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NOTRE SÉLECTION DE POÈMES : Gabriel HECKER

L’ENVASEMENT


Canicule. Canots à la file amarrés ;
Vieilles maisons, taudis en bois, filets de pêche
Aux murs, avec leurs flotteurs bruns, qui pendent, sèchent ;
L’air est pleins des relents aigres de la marée,

Sent le marais, le fer et la vase, l’urine.
Rien ne change jamais : au long des berges basses,
La chaleur poisse ; on crie ; on chique le tabac,
On grille le poisson encor de la lagune ;

Les pilotis de loin accrochent les haillons
Du jour, où des oiseaux, sans doute, s’effilochent ;
Un peu d’écume bave aux pieds rouges des roches,
Un peu de brise bat autour des pavillons.

Dites : le temps est proche ? Ou bien cet enfer dort,
De soleil ensablé comme un captif tranquille,
Rivé morne à la chaine éternelle des îles,
Esclave du déclin, dos à la stèle d’or ?

C’est toujours, devant lui, la même métaphore
Du départ : l’archipel, dont le cœur, quelque part
Achalandé de tout ce qu’il vécut, révèle
Un soir ou un matin, son trésor recelé.

« Tâchant à projeter tout mon être par elle,
Serai-je plus heureux, dit-il, et consolé,
Comme en l’exil les gens à eux-mêmes fidèles,
Figés sous la douleur encor, mais transmués ?

Je voudrais me garder des songes sans amour,
Indifférents à tout, quand le sommeil m’accuse,
Et dont la grandeur, moins ces figures qui fusent,
Cache mal le vide en deçà de mes jours…

Je voudrais pouvoir plus, vouloir plus comme veulent
Ceux-là qui vont, après la barre qui déferle,
En eux-mêmes, contre eux, fuyant seul vers le Seul,
Aux sables arracher la nacre d’une perle…

Vouloir…un mot ! Un mot ! Comme au temps d’équinoxe,
Les eaux montent charriant les âmes et les corps ;
Assez de la magie en moi des mots des morts !
Assez des crânes eaux de leurs rires féroces !

A tel me retrouver, je sens, l’un après l’autre,
Les atolls pâlement s’évanouir sous le ciel ;
Mon chant gréé en voile aurique comme un cotre
Aura donné le tout de son allure frêle

Hélas, en vain… » Ainsi cet homme se lamente ;
Il ne sort plus ou presque, à peine mange : il rime.
Rien ne compte alentour, en dehors de ses ‘’hymnes’’
Dont les autres n’ont cure alors même qu’il chante…

Et tout lui semble morne où le varech pourrit ;
L’universelle mort à mesure s’abat
Sous les palétuviers des mangroves saumâtres ;
Et le cormoran pousse, au long, son triste cri…

Gabriel HECKER

BÉNÉDICTION


Sois le matin, sois l'aube et le chemin, l'Appel,
Le pèlerin qui va quand le mène l'aurore,
L'enfant nu, le bouton de lotus près d'éclore
Et l'Annonciation de l'Archange fidèle ;

Sois la croix de granit, la lumière où varie
Mystérieusement comme un vitrail le monde,
Sois l'Orient depuis la falaise et, sur l'onde,
Sois l'Annonciation de l'Archange à Marie ;

Sois l'ancre, la chapelle intime, le miroir,
Le marin qui reçoit d'elle la nef des Formes,
Ainsi qu'une île au for d'un océan sans bornes,
Ainsi qu'un lys parmi la ténèbre, le soir ;

Sois la flamme au milieu la lumière du cierge,
Telles qu'on fit jadis les prières à Dieu
Laisse tomber ton front sur l'autel radieux,
Sois l'Annonciation de l'Archange à la Vierge ;

Sois celui-là qui sait ne rien savoir, et mande
L'intercession toujours de Sophia pour lui ;
Sois le barde qui veille en le cœur de la nuit,
Berger humble des chants, dessous sa houppelande ;

Sois le soleil, sois l'être en se levant qui prie :
« Accorde-moi de vivre assez pour te connaître ! »
Tandis que le jour naît au travers la fenêtre,
Sois l'Annonciation de l'Archange à Marie.

Gabriel HECKER
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