À Paul Éluard
Au cimetière du Père-Lachaise, Paris, 1953
Tu es si jeune en ce monde
que ta mort n'est que le début
de ta verte récolte.
On t'entend respirer sous l'herbe
que ton cœur défend, comme une autre peau.
Ta langue universelle était le courant
qui transportait ta lutte sous les drapeaux,
et nous voyions ta tête illuminée
de rossignols et de bocages rouges.
À travers ton espérance et tes veines hardies
circulaient les hymnes et les forges,
dans l'enceinte bleue de tes mots,
les fronts se joignaient
en un vol espacé de colombes.
Tu règnes de profil dans les ombres,
en recueillant le silence de la nuit
qui fixe dans tes pupilles
la splendeur infinie de ton étoile.
J'entends monter à travers chaque tige tendre
le flux implacable de ton sang,
et je te vois comme tu étais, haut et grand,
parmi les enfants des quartiers pauvres.
Le territoire de l'amour te couvre,
la Liberté marche avec ton nom,
et dans tes yeux ouverts
la Paix veille sur ton aspiration profonde.
Je viens d'un pays où les arbres
précipitent leur origine
dans les rêves de l'homme,
et je t'apporte un message :
une poignée de terre,
une poignée d'amour
pour ta couche verte.
La crue des fleuves. Antares. Bogotá, 1955.
Traduit de l'espagnol par Maggy De Coster
Matilde ESPINOSA
Le secret parle
I
Sera-ce l'air qui me trahira,
le geste, la rotation de la terre
baignée par le suintement incessant
du cœur du monde ?
Comment peser ce silence ?
II
Je me ceins du cou du pendu
du mutisme de la créature
qui ne reviendra pas à la lumière
du gémissement soustrait
par la montée d'un fleuve
et je gravis la montagne dans sa douleur
d'ombres et de sang.
III
Je m'accroche à la promesse
et quand le mot s'envole
en quête de son espace
je lui rappelle « sa condamnation à mort ».
Il revient livide et déchire l'arôme
de la fleur que nourrit la nature de sa blancheur
et qui apparaît toujours comme cette pluie
jaune qu'une étrange aube
répartit comme des violettes.
La ville entre dans la nuit. Trilce Éditeurs.
Bogotá, 2001.
Traduit de l'espagnol par Maggy De Coster
Matilde ESPINOSA
Le nuage blanc
À la mémoire de mon fils
Fernand Martínez ESPINOSA
Un jour et un autre jour
sans toi mon fils.
Et les silences
et le pourquoi dénué de sens
et savoir seulement
qu'il y avait un assaut en mon chemin.
Pourquoi m'as-tu précédé
le pas, finalement mon fils,
peut-être tu ignorais que cette douleur
n'a pas d'égal
ni ne s'exprime par les mots.
C'est la plus solitaire de toutes les douleurs
et l'écho de ses pleurs
traverse les siècles
comme des frissons anciens et nouveaux.
La solitude accoucheuse de la mort
devait t'éteindre les paupières remplies de soleils
et de cieux vagabonds.
Elle a dû te fermer les pupilles
qui me continuent de me chercher
dans ce labyrinthe où je berce
ton ombre.
Dans le nuage le plus blanc
je te rends à l'enfance
et t'attends.
Los héros perdus. Trilce Editeurs. Bogotá, 1994.
Traduit de l'espagnol par Maggy De Coster
Matilde ESPINOSA
La haute tour de tes rêves
Ne mets pas en fuite les oiseaux nocturnes.
Caresse la musique des feuilles.
Écoute le métier à tisser des étoiles.
Laisse la lune peindre ses yeux verts
sur les hautes murailles.
Enivre-toi de l'arôme du lever du jour
et oublie les cieux violents
des soleils crépusculaires.
Mémoire du Vent. Éditions Tercer Mundo.
Bogotá, 1987.
Traduit de l'espagnol par Maggy De Coster
Matilde ESPINOSA