NOTRE SÉLECTION DE POÈMES : Jean-Marc ROTH

PAYSAGES GIGOGNES

Toutes espérances à flots, un petit port
Rêve d'autres contrées dans le secret
Des sables ; au bout du chenal
Il ancre les amours de passage.
D'infinis paysages se languissent à quai,
Disparaissent dans un reflet, se retirent
Dans le fracas des digues et les salves d'écume,
Sous l'œil aveugle du phare

Sur le sable à fleur d'empreintes,
De tièdes bouffées de vent salin
Balaient l'onde sans fin  
Dans la douceur saumâtre des lagunes.
Les couleurs du ciel se chevauchent
Comme un pêle-mêle de pensées,
Un sentiment de vertige noie l'immensité
Dérobée à l'espace, sous l'épave du temps

Sur la colline au-dessus du ressac,
Le bleu se dilue dans un nouvel océan,
Vestige des jardins de Bacchus,
Part d'infini où serpente une piste
Connue des paysans comme endroit des baisers.
Un puzzle d'oliviers et de cailloux roulants
Embrasse les chaintres de vignes sombres
Comme une lave refroidie par la mer

La mosaïque protège les clochers,
Civilisation éperdue de paysages gigognes
Où s'allient le désert et les siècles
A perte de mémoire, à perte de vue
Jusqu'à l'horizon montant en flèche,
Pareil à une vague gonflée de liberté
Suspendue aux espaliers de l'azur
Et ourlant le rivage de frontières sans destin

La chaleur du sable, la fraîcheur du courant
Rythment le pas lent d'un promeneur,
Guetteur d'îles à la dérive et de soleils démâtés.
L'homme se perd dans l'impossible horizon,
Le ciel et la mer sculptent son corps,
Intronisé gardien des étangs et suzerain du lido.
D'infinis paysages se décuplent dans l'écrin
De ses yeux, où tout s'achève et recommence

Jean-Marc ROTH