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NOTRE SÉLECTION DE POÈMES : Mouloud TOUAHRI


LE TOTEM


Yeux mi-clos
Bouche scellée
Mains liées
Mémoire vide
le Totem déchu
Titubait à tâtons


Une influence délétère
L'a obligé à se taire
Et à tuer ses pensées

Tribus fronts à terre
Grommelaient des prières
Qu'il ne peut plus exaucer

Fois réduites en poussières
Sont privées de lumière
Sur la voie comment avancer ?

Huttes, cases et chaumières
De ces humbles gens ordinaires
Hélas se sont renversées

Au nom du saint-Père
De sombres missionnaires
Ont commis des actes insensés

Champs, forêts et rivières
Reniés par l'hiver
Refusent à la graine de pousser

Ce Totem que l'on enterre
Sans rite funéraire
A laissé des âmes courroucées

Le vent et le tonnerre
Tristes psalmodiaient des airs
D'une oraison blessée

Mouloud TOUAHRI


L'ARBRE A MOTS


L'arbre à mots, irrigué de mutisme
Adopte les épines comme langage
Son bois mort en gestation
Accouche de plumes acerbes
L'encre amniotique de sa sève
Déferle sur les bouches aphones
En esquissant des verbes menaçants
Leurs silences s'insurgent
Et deviennent de justes propos
Les phrases éventrées s'assagissent
Et allaitent nos hautes opinions

L'arbre à mots c'est ce barde maudit
Qui piétine la décence
Pour libérer les aubes nouvelles

L'arbre à dire irrigué de ma rage
Enfante des poèmes douloureux
Leurs brûlantes vomissures
Déclamées aux vents
Attisent des consciences amorphes
Les pages polluées de mes cris
Leur servent d'ultime sépulture

L'arbre à mots c'est ce troubadour
Atteint d'une sage folie
Qui dérange les ordres établis
Pour libérer des soleils

L'arbre à dire irrigué de ma haine
Insolent, brave la censure
Ils se fait brasier, rédempteur
Pour purifier les âmes amères
Oeillères camisoles bandeaux
chaînes muselières apeurés
S'enfuient devant la hargne de ses mots

L'arbre à mots c'est cet aède anonyme
Qui mains nues s'attaque aux mépris
Pour délier les langues paresseuses

L'arbre à mots, irrigué des mes pleurs
Anoblit ses rimes presque naïves
Je les cueille pour en faire des poèmes
Accouplées au souffle du vent
Elle entonnent de douces symphonies
Ces odes tendres qui naissent
Dans les tourmentes des cœurs
Seront des hymnes à l'amour
Et les larmes versées comme obole
Susciteront de douces espérances

L'arbre à mots c'est ce chanteur
Qui avec sa sensibilité compose
Une œuvre nuptiale pour marier
La douce musique et les mots vains

Mouloud TOUAHRI

CONFESSIONS


L'ange est mort ! L'ange est mort !
J'ai assisté à son "enciellement"

Les solennels sacrements
De l'ange défunt
N'agréent pas mes condoléances
Dans mes rêves tourmentés
Ils m'imposent d'étranges questionnements

Mon âme, en peine, incarcérée
Dans ce vil corps périssable
Quémande déjà des pardons
Car elle s'est vidée de dieu
Mérite-t-elle l'absolution ?

Dieu, épelé dans toutes les langues ,
Fuse de ma bouche comme un blasphème
Un blasphème anodin exempt de haine
Un blasphème qui se veut prière
Est-il apte à nourrir ma foi ?

Les immensités du ciel : demeure divine
Ne suffiront pas à remplir de mes cœurs arides ?
J'adore ce dieu clément
Auquel je ne crois plus
Va-t-il refuser mes supplications ?

Je fuis ces temples dédiés aux dieux
Qui diffusent des discours divergents
Je hais ces prêches enflammées
Qui attisent les intolérances
Je m'agenouille au pied de ma surdité
Je m'agenouille au pied de ma cécité
Je m'agenouille au pied de ma mutité
Je m'agenouille au pied de ma déperdition
Pour trouver la juste voie
Mes pas hésitants me guideront-ils ?

Mouloud TOUAHRI


LA RAGE DE DIRE


A la place de la langue
J'ai une braise ardente
Je ne parle qu'avec des flammes
Ma salive bouillonnante
Sur le cratère des mes lèvres
Se déversent en lave chaude

Ma bouche enfin ouverte
Epouse les mots et adopte le vent
Comme cordes vocales
C'est là que naissent les cris
Les vestiges du bâillon
Deviennent linceul à mes peurs
Je m'égosille à réveiller les déserts
Est-ce cela s'exprimer ?

A ma langue j'ai greffé une plume
Pour concrétiser mes hurlements
Je la féconde
Je l'enfle et je la multiplie
Pour la jeter aux foules

Je peins avec des sourires
Les bouches édentées
Les bouches "élanguées"(1)
Pour leur réapprendre
Le langage des baisers
Avec leurs non-dits pesants
Je compose des hymnes
Dédiés à L'Amour

Je m'inaugure porte-parole
A tous ces hommes muets
Qui n'osent parler qu'à eux-mêmes
A toutes ces femmes muettes
Qui ne s'expriment qu'avec des larmes
Je traduis dans toutes les langues
Leurs échos longtemps bafoués

Je m'approprie toutes leurs mutités
Pour nourrir le volcan exutoire
De ma bouche en feu ... en feu

Chaque vers que viens d'écrire
N'est qu'une parcelle de mon corps
Chaque vers queje viens de crier
N'est qu'une parcelle de mon âme

Je cultive des silences
Car les fruits sont revendications
Partout je les ensemence
Pour libérer l'expression

(1) Mot inventé ; élanguées : sanslangue (organe)

Mouloud TOUAHRI
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