Tête en bas
Je regarde la mouche
qui se balade sur le Velux
la tête en bas
je me demande
comment va le monde
la tête en bas
et comment font les Australiens
à l’autre bout d’ici
pour ne pas chuter
dans le cosmos et la nuit étoilée
je me demande
combien de temps
je pourrais tenir ainsi
la tête en bas
Antoine MAINE
Grenouilles
Je me souviens d'un autre banc
posé tout au bord de la nuit
et nous à tenter d’autres mots
que les mots d'ici
au-devant des saules
on devinait quelques mares
pas plus grandes
que des lacs vus du ciel
de là s'élevaient les chants
d'un millier de grenouilles
plus agiles que nous
à dire les choses d'ici
Antoine MAINE
Traverser
Les mains dans les poches
tête penchée dans le vide
la cape froide de la pluie
posée sur mon crâne nu
j'avance sans rien savoir
du nom des rivières
la nuit est une longue avenue
et les phares des voitures
éclaboussent mes silences
la pluie embrouille
les vitrines des kebabs
où Liverpool joue
contre Manchester United
dans les bars des filles floues
dansent avec des gestes maladroits
de madones en dérive
sous l’œil des lampadaires
quelques platanes retiennent l'eau
j’avance sans crainte
au travers du rideau de pluie
seul à suivre le cours
même si c'est
down the river of no return *
Antoine MAINE
Aurores
J'ai loupé les aurores boréales
celles qui font descendre jusque sous nos fenêtres les grands loups efflanqués au regard étoilé
celles qui font de cette nuit une nuit bien plus vaste que toutes les autres
celles qui rassemblent les forêts dans une même main pour en faire une ligne sombre à l'horizontale du ciel
celles qui nous réunissent encore une fois d'un bord de l'océan à l'autre alors que nous voyons bien comme dérivent les continents et qu'il ne reste plus tant de matins que ça
Antoine MAINE
Chien Sauvage
Je ne suis jamais allé en Tasmanie
ni même n’ai franchi le Tropique du Capricorne
je ne connais rien de cette grande île
perdue entre deux océans
seulement qu’autrefois
vivait là-bas
une espèce de grand chien sauvage
à l’allure dégingandée
et au pelage bizarrement tigré
chassé par l’homme blanc
il disparaît au début du XXe siècle
souvent je me demande
à quoi pouvait bien penser
le dernier des loups de Tasmanie
qui sans fin courait les sous-bois
d’une lisière à l’autre
Antoine MAINE
Repos
Le vent d'ici est vent de la mer
enfant de l'océan lointain
peut-être même des deux Amériques
dans sa course il a caressé
le dos des baleines bleues
et des rorquals
emporté jusqu'ici leurs voix profondes
qui se lieront à celles vibrantes
des peupliers à feuilles de cristal
et c'est là que je repose
Antoine MAINE
Maison
Là-bas les prunes jaunissent
dans une coupe à fruits
sur une nappe en couleurs
comme dans un tableau de Matisse
mais quand je fouille mes poches
je ne trouve que mes clés
et je ne sais plus vraiment
où j'ai laissé la maison
Antoine MAINE
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